Les Jardins d’autre Monde | Review

Jardins d'autre Monde
“Un nouveau disque consacré au compositeur vietnamien Ton-That Tiêt présente trois œuvres instrumentales et vocales ( 1987, 2000 et 2004), liées aux paysages ou aux architectures du pays natal. La fusion de l’écriture moderniste européenne et du climat extrême-oriental y est d’une grande intériorité. L’écoute amène à une réflexion passionnante.

Xenakis en faisait le titre d’une de ses œuvres : Orient-Occident. Au XXe, les rapports d’inspiration et d’écriture entre l’Extrême-Orient et l’Europe – spécialement du côté du Japon – ont été fructueux, et pas forcément à sens unique… Le compositeur Ton-That Tiêt, né au Vietnam en 1933, s’était installé à l’âge de 25 ans en France, mais il n’aura jamais coupé ses racines. Au contraire : sériel d’éducation musicale, le disciple de Jean Rivier et d’André Jolivet, fut invité à travailler en lien avec sa culture et avec la sagesse philosophique de l’Asie, tout en assimilant la modernité européenne. 30 ans plus tard, cette ambivalence contrôlée demeure, suscitant chez l’auditeur d’ici, une identique curiosité, voire une fascination devant un langage qui sait ne rien renier.
Mais sans doute vaut-il mieux laisser agir le Temps, celui dont la conception bouddhique, shintoïste ou chinoise immerge dans une autre totalité que celle de l’absolu individuel. Les Jardins d’autre monde, qui a 20 ans, Et La rivière chante l’éternité, écrit en 2004, sont aussi pour Ton-That Tiêt un retour aux sources de l’enfance : « l’action » de la mémoire du paysage s’accomplit dans la cité natale de Hué. Les Jardins sont des tombeaux d’empereurs, mais il ne faudrait pas leur donner un sens émotif, ni bien sûr pour les souverains (des beaux indifférents…), ni en un appel métaphysique de la mort. Plutôt, à travers les sonorités instrumentales, une alternance de formes spatio-temporelles : après une entrée percussive un peu rude , le va-et-vient de la tension orthogonale et de plages de calme où la harpe aux doigts de pluie joue un rôle essentiel. La rivière, trio à cordes (2000), se partage aussi entre l’agitation parfois violente et l’émotion d’une musique plus liquide, aux atomes de matière et de temps soudés par le mouvement paradoxal des coulées du fleuve. Le paysage se précise encore dans les Poèmes(2004), en des tableaux empruntés aux textes de Li-Tai-Po, l’écrivain chinois du VIII ème siècle, « Immortel banni sur la terre » selon ses contemporains, et pas trop inconnu en Europe (une partie du Chant de la Terre mahlérien…). Ici le groupe vietnamien du Ca Trù (luth, tambour et voix, cette dernière sonnant tout aussi naturelle en langue originale que fait un peu maniérée la courte intervention en français  de la coda…) se joint à la flûte, la harpe et l’alto d’Europe.
A travers l’interprétation précise, intense et subtile des Temps Modernes, dirigée par Fabrice Pierre, on sent une communion que les instrumentistes lyonnais ont créée par une fréquentation de longue date avec le compositeur. Cette Nouvelle Aventure d’Orient-Occident vit d’une belle ardeur, et on l’écoutera au calme spirituel, dans la vacance de l’été européen, si possible en écho visuel des paysages de montagnes, de rivières et de collines…”

Les Jardins d’autre monde
Et la rivière chante l’éternité
Poèmes 
(bande enregistrée dans Poèmes par le Trio Ca-Trù)
Ensemble Les Temps Modernes,
Fabrice Pierre
, direction

Dominique Dubreuil | Classiquenews | Juin 2007

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Time limit is exhausted. Please reload the CAPTCHA.